Biologie animale, Comportement, Ecologie

Quand le paresseux se met au vert

Leur lenteur est légendaire. Et pourtant, le flegme de ces mammifères arboricoles n’est pas le caractère le plus étonnant de leur mode de vie. Dans le plus grand secret, les paresseux entretiennent une relation fusionnelle avec plusieurs organismes des plus inattendus.

Le paresseux n’est pas fainéant, il s’économise !

Le paresseux est un ruminant, comme les vaches. Il consomme des feuilles à faible valeur énergétique et très chargées en cellulose qui nécessitent une très longue digestion. Plus la digestion est longue, plus le corps à besoin de temps pour absorber les nutriments et fabriquer de l’énergie. Le mode d’alimentation du paresseux ainsi que sa petite taille le contraignent à fonctionner au ralenti et à limiter les dépenses énergétiques.

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Camouflage, oui, mais pas que !

Le fait de ne pas pouvoir se déplacer rapidement rend le paresseux très vulnérable vis-à-vis des prédateurs. Ainsi, il passe le plus clair de son temps pendu aux branches dans la canopée. Avez-vous remarqué la couleur verdâtre de son pelage ? Cette coloration est due à la présence de micro-algues vertes (Trichophilus welckeri) qui poussent sur ses poils le rendant presque invisible.

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Vue en coupe d’un poil de paresseux à deux doigts (Choloepus hoffmanni) entouré d’algues (Trichophilus sp.). (© Milla Suutari)

Ces micro-algues lui servent de camouflage, mais pas seulement ! Elles sont également un très bon complément alimentaire. Quand il en a besoin, le paresseux se lèche les poils et absorbe ces algues qui sont bien plus riches en lipides que les plantes qu’il consomme. Elles constituent donc une véritable source d’énergie.

Tout semble bien aller dans la vie du paresseux mais il a une étrange lubie : une fois par semaine, il descend de son arbre pour aller déféquer par terre. C’est un comportement très étonnant car descendre de l’arbre lui est extrêmement coûteux en énergie, en temps, et le met à la merci des prédateurs.

Quel est l’intérêt d’aller faire caca par terre ?

Il s’avère que le pelage du paresseux n’héberge pas que des algues mais également de petits papillons (Cryptoses sp.) qui ont un cycle de vie intimement lié à celui de leur hôte.

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Papillon (Cryptoses sp.) vivant dans le pelage du paresseux. (© Suzi Eszterhas)

Ces papillons vivent leur vie d’adulte dans le pelage du paresseux où ils se nourrissent des sécrétions de la peau tout en étant protégés des oiseaux. Leurs larves sont coprophages, elles vivent dans les crottes. Ainsi, lorsque le paresseux descend de l’arbre pour déféquer, les papillons en profitent pour aller pondre leurs œufs dans ses fèces. Les larves s’y développeront tranquillement puis, une fois adultes, elles s’envoleront à la recherche d’un nouvel hôte paresseux.

Plus un paresseux possède de papillons, plus il aura d’algues

Lorsqu’ils meurent, les cadavres de papillons restent dans les poils du paresseux où des micro-organismes les dégradent en nutriments essentiels au développement des algues. Ces squatteurs qui, au premier abord, ne paraissaient d’aucun intérêt pour le paresseux sont en réalité indispensables à la croissance des algues qui lui servent de camouflage et de nourriture !

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La biomasse de papillons est positivement corrélée à la concentration en ammonium (NH4+) dans les poils du paresseux. Cet ammonium favorise la croissance des algues vertes, dont la quantité est représentée ici par la concentration en chlorophylle a. (D’après Pauli et al., 2014)

Finalement, se mettre en danger une fois par semaine pour permettre aux papillons de pondre est plus avantageux pour un paresseux que de perdre ses compléments alimentaires et son camouflage. Ce comportement permet ainsi d’entretenir les populations de papillons et de micro-algues, dont la présence améliore les chances de survie du paresseux !

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Interactions entre paresseux, papillons et algues : (1) les paresseux descendent des arbres pour déféquer et les femelles papillons pondent dans leurs crottes. (2) Les larves se développent, puis les adultes retournent à l’abri dans les poils des paresseux. (3) Les papillons morts se décomposent en nutriments qui favorisent la croissance des algues, et enfin (4) les paresseux consomment ces algues. (D’après Pauli et al., 2014)

Tout le monde trouve son compte dans cette coopération. Ces interactions mutualistes ont un impact conséquent sur le mode de vie de ces espèces. Chacune étant importante pour les autres, il est indispensable qu’elles se maintiennent en vie, même si cela implique de développer des comportements étranges ou dangereux mais qui sont en réalité avantageux pour la survie de chacun.

■ Océane Liehrmann

Références bibliographiques

• Gilmore, D. P., Da Costa, C. P., & Duarte, D. P. F. (2001). Sloth biology: an update on their physiological ecology, behavior and role as vectors of arthropods and arboviruses. Brazilian Journal of Medical and Biological Research, 34(1), 9-25. https://doi.org/10.1590/S0100-879X2001000100002 

• Pauli, J. N., Mendoza, J. E., Steffan, S. A., Carey, C. C., Weimer, P. J., & Peery, M. Z. (2014). A syndrome of mutualism reinforces the lifestyle of a sloth. Proc. R. Soc. B, 281(1778), 20133006. https://doi.org/10.1098/rspb.2013.3006

• Suutari, M., Majaneva, M., Fewer, D. P., Voirin, B., Aiello, A., Friedl, T., … & Blomster, J. (2010). Molecular evidence for a diverse green algal community growing in the hair of sloths and a specific association with Trichophilus welckeri (Chlorophyta, Ulvophyceae). BMC evolutionary biology, 10(1), 86. https://doi.org/10.1186/1471-2148-10-86

📷 Photo en-tête : Suzi Eszterhas ; photo article : Mark Summers