Biologie animale, Ecologie

Faut-il avoir peur du frelon asiatique ?

Arrivé en France il y a plus de 10 ans, de nombreuses histoires circulent sur le frelon asiatique (Vespa velutina). En colonisant l’ouest de l’Europe à une vitesse folle, l’envahisseur sème la terreur dans les ruches et la panique dans les médias. Mais doit-on réellement s’inquiéter ? Qu’en dit la science ?

Il ne faut pas paniquer, nous ne sommes pas en danger

Le frelon asiatique n’est pas agressif. Malgré ce que l’on en dit, le frelon asiatique n’est pas agressif et il n’est pas plus gros ni plus virulent que le frelon européen (Vespa crabro). Bien sûr, ce sont tous deux des frelons, ils seront particulièrement énervés si on s’approche trop près de leurs nids.

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Comparaison entre frelon européen et frelon asiatique. (© Karine Monceau)

Le frelon asiatique n’est pas dangereux pour l’humain. On peut se détendre, malgré la croissance de la population de frelons asiatiques et leur tendance à vivre près des habitations, le nombre de piqûres d’insectes n’a pas augmenté. Chaque année, on recense toujours moins de 25 cas graves de piqûres de frelons, toutes espèces confondues. Les décès sont encore plus rares, touchant majoritairement des personnes allergiques.

Notre biodiversité est-elle menacée ?

Le frelon asiatique ne menace pas le frelon européen. Le frelon asiatique s’est implanté en se faisant une place dans l’écosystème et il y prolifère. Son mode de vie et son régime alimentaire sont similaires à ceux de son cousin européen mais les deux espèces ont une préférence d’habitats et un cycle de vie sensiblement différent. La compétition directe entre ces deux espèces semblerait donc limitée à large échelle.

Le frelon asiatique est un redoutable prédateur. Le frelon asiatique se nourrit majoritairement d’insectes sauvages, mais son impact sur ces espèces n’est pas encore suffisamment étudié pour tirer des conclusions solides.

Si son nid se trouve à moins de 1 km d’un rucher, il risque fortement de chasser en priorité les abeilles domestiques (Apis mellifera). Contrairement au frelon européen, le frelon asiatique reste en vol stationnaire devant la ruche où il capture les ouvrières butineuses. N’osant plus sortir, les abeilles s’entassent sur la piste d’envol et la colonie assiégée arrête alors toute activité. Si la situation persiste, elle finit par s’éteindre par manque de nourriture.

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Frelon asiatique en vol stationnaire devant une ruche assiégée. (© Jean Hixaire)

L’installation d’une muselière sur la piste d’envol ne protège pas les abeilles revenant à la ruche mais permet aux autres de s’envoler et continuer leur activité. Ce procédé passif et peu coûteux permettrait d’augmenter de 50% les chances de survies d’une ruche assiégée.

Vouloir l’exterminer, ce n’est pas une bonne idée

Il est trop tard pour éradiquer le frelon asiatique en France. Aujourd’hui les populations sont plus ou moins denses et bien établies : l’espèce restera présente dans notre écosystème. Cependant, il est toujours possible de réguler sa population au niveau local, notamment auprès des ruches d’abeilles d’élevage.

Le piégeage est inefficace et néfaste pour l’écosystème. Le consensus scientifique s’accorde à dire que le piégeage est totalement inefficace pour stopper ou même ralentir l’avancée de l’espèce. Pour impacter une seule colonie de frelons, il faudrait éliminer plus de 70% de ses ouvrières (soit environ 3000 entre juin et octobre), un objectif inatteignable par le piégeage sans effets secondaires.

Le problème étant que ces pièges capturent très peu de frelons asiatiques, la majorité des prises sont des insectes locaux : abeilles, mouches, papillons… Ils sont donc inefficaces mais également néfastes et destructeurs pour les populations d’insectes locales.

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Exemple de piège à frelons asiatiques et de son contenu. (© Quentin Rome)

Piéger les jeunes reines frelons asiatiques au printemps avant qu’elles ne fondent leurs colonies est également inutile. Quand elles partent de leurs nids natals, elles entrent alors en compétition pour s’installer et se battent entre elles. Environ 95% meurent durant cette période et les piéger empêche leur auto-régulation. Pire encore, cela pourrait favoriser la construction des nouveaux nids en permettant à une petite proportion de reines de s’installer tranquillement.

La régulation des populations de frelons reste possible au niveau local. N’ayant pas encore de réel prédateur, il est important de réguler sa population à proximité des habitations et des ruches par la détection et la destruction des nids. Le piégeage doit rester exceptionnel, localisé, parcimonieux et le plus sélectif possible. Il faut aujourd’hui apprendre à vivre avec le frelon asiatique.

Bonnes pratiques et signalement des nids ici : http://frelonasiatique.mnhn.fr

Et demain ? Les abeilles vont-elles survivre ?

Les abeilles pourraient se défendre contre les frelons. La plupart des ruches européennes ont montré des systèmes de défenses similaires, bien que moins efficaces, à ceux de l’abeille asiatique (Apis cerana) qui partage son territoire avec le frelon asiatique depuis toujours.

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Comportement de défense des abeilles s’agglutinant autour d’un frelon. La boule peut atteindre une température de 45°C, fatale pour les frelons mais pas pour les abeilles. (Arca et al., 2014)

Le fait que les abeilles européennes adoptent ces comportements si rapidement après avoir été exposées à leur nouveau prédateur est encourageant. En les sélectionnant il deviendrait possible pour les ruches de se défendre seules contre la prédation des frelons à l’instar de leur cousines asiatiques.  

Le frelon asiatique est loin d’être la principale menace des abeilles. La mort des abeilles domestiques et sauvages est en grande majorité due à la présence de parasites et à l’empoisonnement par les pesticides. Les abeilles sont affaiblies par des siècles d’élevage qui ont diminué leur diversité génétique et la perte de biodiversité des fleurs qui amoindri les réserves des ruches années après années.

Lorsque les activités humaines sont concernées, de nombreuses espèces invasives ou locales sont pointées du doigt par les médias. Mais ces dernières ne sont finalement que la conséquence d’un environnement fragilisé et du déclin de la biodiversité. Le mieux que nous puissions faire est d’agir sur les causes en limitant l’urbanisation, l’utilisation de pesticides, ou en préservant au maximum les espaces naturels et la biodiversité. 

■ Hugo Le Chevalier

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📷 Photo en-tête : Arca et al., 2014