Biologie végétale, Physiologie

Reines des glaces

Quand les beaux jours reviennent et que les plantes se remettent à capter l’énergie solaire, le froid est l’un de leurs pires ennemis. Une seule gelée tardive peut dévaster un verger en fleurs en réduisant considérablement la production de fruits, et donc de descendants. Comment alors imaginer que des plantes de quelques centimètres puissent vivre et se reproduire en haute altitude où les températures peuvent descendre bien en deçà de 0°C même en plein été ?

Saxifrage a feuilles opposees - Alpes italiennes - découpe @Kévin Liautaud
Saxifrage à feuilles opposées (Saxifraga oppositifolia) en floraison à 3200 m d’altitude dans les Alpes italiennes à la fin du mois de juin. Au fond, le Mont Blanc (4810 m). (© Kévin Liautaud)

Éviter le froid !

La première stratégie pour éviter le froid est liée à la phénologie, comme la période de floraison ou de feuillaison. Les chances de reproduction pourraient être compromises si les fleurs, très sensibles, sont exposées à des températures trop froides. Ceci explique en partie pourquoi les plantes de haute montagne ont une floraison très courte et tardive. Par exemple, une saxifrage à feuilles opposées (Saxifraga oppositifolia) ne commence à fleurir qu’en juillet, alors que bien des plantes de plaine ont déjà leurs fruits gorgés de sucres.

Parmi les autres stratégies d’évitement du froid on retrouve des adaptations morphologiques comme la position des bourgeons sur la plante. En étant placés stratégiquement, ils peuvent limiter l’exposition au froid des futures feuilles et fleurs.

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La taille de la plante est également importante : l’hiver, plus on est petit et plus on est recouvert et ainsi protégé par le manteau neigeux qui est un excellent isolant thermique ! Certaines espèces peuvent être organisées en coussins aux tiges et feuilles très serrées. Cette adaptation leur permet de conserver une température bien plus élevée que celle de l’air. L’habitat est également primordial. On sera bien mieux protégé du froid dans des zones d’accumulation de neige, peu ventées, que sur une arête balayée par les tempêtes !

Petit jeu avec les lois de la physique

Éviter les froids extrêmes n’est pas toujours possible. Alors comment survivre en étant exposé à des températures glaciales ? En accumulant des sucres, certains végétaux peuvent ainsi abaisser la température à laquelle l’eau de leurs tissus va geler. Il s’agit tout simplement du même principe que l’ajout de sel sur les routes en hiver. Encore plus fort : ces plantes peuvent aussi sécréter des protéines antigel qui limitent la formation de cristaux de glace.

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Formation des cristaux de glace chez le brachypode à deux épis (Brachypodium distachyon), avec et sans protéines antigel après 24 heures passées à -4°C. (© Bredow et al., 2016)

Il existe une autre stratégie, encore plus efficace et spectaculaire : la surfusion. Ce phénomène physique permet à l’eau de demeurer liquide en dessous de 0°C. Ceci est notamment possible grâce à la présence de lignine au sein de la paroi des cellules et l’absence de particules qui amorcent la cristallisation de l’eau. Bien qu’efficace, ce procédé est très risqué : si la température baisse trop, la formation de glace dans les cellules sera très rapide, menant à leur destruction.

Tolérer le gel au sein des tissus

Certaines espèces vont encore plus loin. Elles sont capables de résister au gel de l’eau dans leurs tissus. Mais attention, pas n’importe quelles parties des tissus ! L’apparition de gel au cœur des cellules reste toujours fatale, et seule la formation de glace dans le milieu extracellulaire est tolérée. Ces plantes peuvent déplacer l’eau de leurs cellules dans des zones où le gel ne causera que peu de dommages.  Ce mécanisme permet aussi aux différents organes de geler indépendamment les uns des autres, ce qui empêche la glace de se propager dans toute la plante.

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Propagation de la glace chez la callune (Calluna vulgaris). La glace, en blanc sur les images, progresse rapidement dans les tiges (2 à 5) mais fini par être bloquée avant d’atteindre les fleurs. Ces dernières gèlent indépendamment les unes des autres beaucoup plus tard à des températures plus froides (6 à 10). (© Kuprian et al., 2014)

Réparer et remplacer

Parfois, éviter le froid, empêcher ou tolérer le gel ne suffisent pas et certains tissus sont détruits. La présence de réserves d’énergie et de nouveaux bourgeons assure une nouvelle pousse de feuilles si les premières ont été détruites. Même si cette remise à neuf est cruciale pour la survie de la plante, son coût en énergie est si important qu’elle en demeurera affaiblie pour les mois qui vont suivre, et risque de croître moins vite ou de produire moins de fleurs, et donc de graines.

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Renoncule des glaciers (Ranunculus glacialis) en fleurs à 2700 mètres dans les Alpes italiennes. (© Kévin Liautaud)

Tous ces mécanismes permettent donc à des plantes de haute montagne de survivre à des températures extrêmement basses. Parmi les championnes du froid, on a ainsi déterminé en laboratoire que les feuilles de la saxifrage à feuilles opposées peuvent résister à des températures allant jusqu’à -80°C !

Glaçant non ?

■ Kévin Liautaud

Références bibliographiques

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Kuprian, E., Briceño, V. F., Wagner, J., & Neuner, G. (2014). Ice barriers promote supercooling and prevent frost injury in reproductive buds, flowers and fruits of alpine dwarf shrubs throughout the summer. Environmental and experimental botany, 106, 4-12. https://doi.org/10.1016/j.envexpbot.2014.01.011

Larcher, W., Kainmüller, C. & Wagner, J. (2010). Survival types of high mountain plants under extreme temperatures. Flora Morphol. Distrib. Funct. Ecol. Plants, 205, 3–18. https://doi.org/10.1016/j.flora.2008.12.005

Larl, I. & Wagner, J. (2006). Timing of reproductive and vegetative development in Saxifraga oppositifolia in an alpine and a subnival climate. Plant Biol., 8, 155–166. https://doi.org/10.1055/s-2005-872888

Neuner, G. (2014). Frost resistance in alpine woody plants. Frontiers in plant science, 5, 654. https://doi.org/10.3389/fpls.2014.00654

Ninagawa, T., Eguchi, A., Kawamura, Y., Konishi, T., & Narumi, A. (2016). A study on ice crystal formation behavior at intracellular freezing of plant cells using a high-speed camera. Cryobiology, 73(1), 20-29. https://doi.org/10.1016/j.cryobiol.2016.06.003

Pearce, R. S. (2001). Plant freezing and damage. Annals of Botany, 87(4), 417-424. https://doi.org/10.1006/anbo.2000.1352

📷 Photo en-tête : Matt Mattus ; dessin : Hugo Le Chevalier ; GIF : Ninagawa et al. 2016