Biologie animale, Comportement, Ecologie

La route à vol d’oiseau

Nous vivons dans l’anthropocène, l’activité humaine a un tel impact sur les écosystèmes à l’échelle globale que c’en est devenu une ère géologique à part entière. De plus en plus, la présence humaine et la transformation des espaces naturels conduisent bon nombre d’autres espèces à s’adapter.

Les routes sont parmi les infrastructures les plus impactantes pour la faune. En traversant les habitats naturels, elles découpent et fragmentent le paysage, et causent une forte mortalité pour les animaux devant les franchir. Les routes sont donc des espaces hostiles agissant comme des barrières et contraignant des populations entières dans leurs déplacements.

Une voiture est comme un prédateur pour la faune : il faut s’enfuir à son approche sinon c’est la mort assurée.

Chez les oiseaux cependant, de nombreuses espèces vivent près des routes et s’en servent même de garde-manger en y picorant des restes de nourriture bien visibles sur le bitume ou en se faisant un festin de cadavres d’animaux malchanceux. L’utilisation de ces structures impose malgré tout un compromis de taille : s’envoler suffisamment tard à l’approche d’un véhicule pour récupérer un maximum de nourriture sans pour autant risquer sa vie.

Les routes sont des espaces ouverts où il est facile pour les oiseaux de repérer des restes de nourriture (miettes, poubelles…) ou des proies se risquant à traverser. Le plus souvent, ce sont les oiseaux charognards que l’on peut observer se nourrir de cadavres sur le bas-côté ou directement sur le bitume.

Pour comprendre ce qui influence la distance à partir de laquelle les oiseaux prennent leur envol au passage d’une voiture, une équipe de scientifiques a donc pris la route. Ils ont roulé à différentes saisons, en respectant ou non les limitations de vitesse (c’est pour la science, ne faites pas ça chez vous) et en mesurant les distances d’envol des oiseaux qu’ils ont croisé. 

Après analyse, la distance d’envol est liée à la limitation de vitesse des routes mais, étrangement, ne dépend pas de la vitesse de la voiture.

Les oiseaux ajustent leur distance d’envol en fonction de la limitation de vitesse du tronçon de route : plus la limitation de vitesse est élevée, plus ils s’envoleront loin des voitures qui passent (d’après Legagneux & Ducatez, 2013).

Les oiseaux ne calculent pas leur envol à l’approche de chaque voiture mais ils ont appris que, sur différents tronçons de route, les véhicules roulent à une vitesse moyenne : la limitation de vitesse. C’est à partir de cette vitesse moyenne qu’ils ajustent leur distance d’envol optimale en fonction des routes sur lesquelles ils se trouvent. Ce ne serait donc pas un comportement issu de la sélection naturelle (avec la mort des oiseaux trop lents) mais bel et bien un apprentissage !

Ces derniers connaissent bien les caractéristiques de leurs territoires et sont capables d’adaptations comportementales rapides. Les routes sont pour eux des nouveaux milieux à comprendre, avec leurs spécificités et leur “faune” face à laquelle il faut savoir réagir en fonction de ses capacités. Par exemple, au passage d’une même voiture à la même vitesse, les Moineaux domestiques, rapides et légers, s’envolent plus tard que les Corneilles noires, plus lourdes et plus lentes au décollage. 

Améliorer les connaissances de l’impact des infrastructures humaines et de leur utilisation par les espèces sauvages peut nous permettre de les adapter et de modifier nos comportements pour une meilleure cohabitation.

Les humains ne sont pas les seuls usagers, partageons les routes !

■ Hugo Le Chevalier

Références bibliographiques

• Legagneux, P., & Ducatez, S. (2013). European birds adjust their flight initiation distance to road speed limits. Biology letters, 9(5), 20130417. https://doi.org/10.1098/rsbl.2013.0417