Biologie animale, Comportement, Reproduction

La mésange nounou

Les mésanges à longue queue (Aegithalos caudatus) vivent en groupes familiaux de 10 à 20 oiseaux. Ces véritables petits clans occupent un grand territoire, qui parfois chevauche celui d’un groupe voisin. Mais dès la fin de l’hiver, les groupes se scindent, et les oiseaux forment des couples. Vient alors le temps de faire un nid et d’y pondre ses œufs. Mais tout ne se passe pas toujours comme prévu.

Priorité à la famille

Il est très fréquent que les couvées meurent. Les œufs, voire les poussins, pouvant être dévorés par des geais ou des martres, entre autres. Chez la plupart des espèces d’oiseaux, si tous les poussins meurent les parents abandonnent toute velléité de reproduction pour l’année ou essayent d’élever une nouvelle couvée. C’est là qu’intervient la particularité de la mésange à longue queue.

Prédation de poussins dans un nid de mésange à longue queue par un pic épeiche (Dendrocopos major). (© Šafarek)

Ces mésanges ont une autre possibilité: aider d’autres couples à élever leurs poussins ! C’est surtout le cas en fin de saison de reproduction car il n’y a plus beaucoup de temps pour refaire une couvée. Les oiseaux qui viennent en aide aux parents sont appelés auxiliaires, et contribuent surtout au nourrissage des poussins, quand ils sont dans le nid mais aussi après leur envol. Près de la moitié des couples d’un territoire bénéficient ainsi d’un à deux auxiliaires.

Plus important, les auxiliaires ne choisissent pas nécessairement d’aider leurs plus proches voisins mais plutôt leurs proches parents. Ils préfèrent même aider leurs frères et sœurs, que leurs parents plus éloignés (cousins, neveux, nièces, tantes, oncles…).

Nourrissage des poussins: un parent est dans le nid, le second à l’entrée,et un auxiliaire (en bas à gauche) ramène une chenille. (© Dave Bevan)

Mais comment les auxiliaires savent-ils qui sont leurs plus proches parents parmi les couples alentour ? Les mésanges à longue queue reconnaîtraient les membres de leur famille grâce à leurs cris de contact : des cris courts qui sont poussés lors d’une rencontre. Ces cris sont légèrement différents entre les individus et en grandissant dans le nid, les petits apprendraient à reconnaître ceux de leurs parents et de leurs frères et sœurs.

Cris de contact de mésange à longue queue. (© Piotr Szczypinski)

Quels avantages à aider d’autres oiseaux à se reproduire ?

Les oiseaux qui perdent leurs poussins pourraient recommencer une nouvelle couvée après l’échec de la première. Mais les insectes dont se nourrissent les poussins sont moins abondants à la fin du printemps, ce qui rend le nourrissage plus difficile et diminue les chances de survie des oisillons.

À première vue, aider d’autres couples au détriment de sa propre reproduction n’est pas avantageux puisque les auxiliaires investissent beaucoup d’énergie pour nourrir des jeunes qui ne sont pas les leurs. Alors pourquoi un tel comportement est-il maintenu ? Parce que aider les autres nichées a de nombreux effets bénéfiques sur les poussins, les parents et, indirectement, sur les auxiliaires eux-mêmes !

Poussins réclamant de la nourriture à l’entrée du nid. (© Z. A. Cheadle)

Des avantages cachés

Quand les poussins sont très jeunes, les auxiliaires qui aident à les nourrir permettent à la mère de passer plus de temps à les couver. Les poussins dépensent donc moins d’énergie pour la régulation de leur température, reçoivent davantage de nourriture et grandissent dans de meilleures conditions. Ils auront ainsi plus de chances de survivre et donc de se reproduire l’année suivante.

Finalement, les auxiliaires qui viennent aider leurs proches parents augmentent la survie et les chances de reproduction de jeunes oiseaux qui sont de leur famille. Ce faisant, les auxiliaires aident indirectement à faire perdurer leur patrimoine génétique.

Adulte nourrissant des jeunes oiseaux après leur envol. (© Alan Walkington)

Les auxiliaires ont des gènes impliqués dans le comportement de coopération, qui ont aussi de fortes chances d’être présents chez les oiseaux de la même famille. Ces gènes seront donc plus facilement présents à la génération suivante que ceux des oiseaux qui prennent le risque de refaire une nichée après l’échec de la première. Ceci explique l’évolution et le maintien du comportement coopératif chez les mésanges à longue queue.

Une espèce à part dans le milieu de la coopération

C’est en 1964 que William Hamilton développe et formalise la théorie de la sélection de parentèle. Elle prédit qu’un comportement peut être maintenu s’il procure des avantages indirects suffisants, via les apparentés, pour compenser son coût (énergie dépensée, prise de risque, etc.). Cette théorie explique très bien ce qui a lieu chez les mésanges à longue queue où l’avantage de transmettre son patrimoine génétique par la famille compense le temps et l’énergie passé à s’occuper des poussins.

Les mésanges à longue queue sont un cas d’école où l’évolution de la coopération s’explique bien. En revanche, c’est ô combien plus compliqué chez de nombreuses autres espèces et les scientifiques peinent toujours à comprendre pourquoi certains individus sacrifient leur reproduction pour en aider d’autres.

Regroupement de mésanges à longue queue dans une haie. En se serrant ainsi, elles se tiennent chaud durant les froides nuits d’hiver. (© John Walters)

Nous verrons plus en détails les autres systèmes de reproduction coopérative dans les prochains articles, et aussi pourquoi on les retrouve en grande majorité dans l’hémisphère sud. Restez connectés et ne ratez pas la suite !

■ Léa Lejeune

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📷 Photo en-tête : Edwyn Anderton ; photo introduction : Jérôme G. Prunier