Récompensée d’un Ig Nobel en 2004, une équipe de chercheurs américains avait alors démontré que les harengs du Pacifique et de l’Atlantique (Clupea pallasii et Clupea harengus) produisent du bruit en expulsant des bulles de leur cloaque, et que cette capacité pourrait être liée à une activité sociale. La presse s’empare de l’affaire, le public est conquis, le savoir de l’humanité s’enrichit : les harengs communiquent en pétant.

La naissance d’une légende
Entre les années 1960 et 2000, de nombreuses recherches ont été menées sur les harengs. On découvre alors que ces fantastiques poissons sont capables d’avaler de l’air à la surface afin de sur-gonfler leur vessie natatoire. Ils peuvent ainsi passer la nuit à 60 mètres de profondeur sans être écrasés par la pression.

Pour remonter rapidement en surface ou se maintenir dans de forts courants, les harengs expulsent l’air de leur vessie et une série de bulles sort de leur cloaque. Ce phénomène produit des sons qui peuvent être détectés par nos appareils d’enregistrement mais aussi par les harengs eux-mêmes. Ces fascinants bruits de pets sont liés à l’émission de bulles et baptisés FRT (pour Fast Repetitive Tick).
Le mystère s’épaissit
Le fonctionnement de la vessie natatoire des harengs était connu mais cette fameuse découverte de 2004 met en évidence quelque chose d’étonnant. Les harengs en aquariums émettent ces bulles sonores la nuit sans changement de pression et de température. Et plus les poissons sont nombreux, plus ils feront de FRT. Ces bruits semblent être émis volontairement et liés à la densité de poissons dans les bancs.

De là à dire que c’est un moyen de communication, il n’y a qu’un pas ! Les journalistes s’empressent de le franchir alors que les scientifiques n’ont émis qu’une timide hypothèse. On sait que la vue et l’odorat des harengs sont mauvais alors que leur ouïe est excellente, ces bruits pourraient peut être leur permettre de se repérer dans le noir pour se regrouper. Cependant, cette hypothèse ne sera pas démontrée avec certitude dans cette étude.
Une réalité moins drôle que la fiction, mais qui va plus loin
Pour tout un chacun, il s’agit juste d’une anecdote drôle, originale et intéressante. Mais pour les scientifiques, l’histoire ne s’arrête pas là. D’autres hypothèses ont été formulées, les études acoustiques sur les poissons ont continué, les techniques se sont améliorées et de nouveaux résultats ont été publiés ces dernières années.

Il a été découvert que beaucoup d’autres espèces de poissons produisent des FRT ou des sons similaires. Ces sons ne sont pas forcément liés à l’émission de bulles, mais produits par les mouvements d’airs entre les organes. Les bulles ne seraient donc qu’une conséquence fortuite, le bruit vient d’un gargouillis et pas d’un pet. Le mythe s’effondre.
Le fin mot de l’histoire
Cependant l’intérêt de cette découverte est loin d’être insignifiant, les pets de harengs ont attisé la curiosité des scientifiques. On sait aujourd’hui que d’autres espèces de poissons disposent d’un vaste répertoire sonore qui s’étoffe au fil des découvertes. Ces bruits sont très utiles aux scientifiques pour repérer, suivre ou identifier les poissons. Mais de nouvelles questions se posent et il reste encore à déterminer s’il s’agit réellement de formes de communication.


Pour conclure sur l’affaire du hareng qui pète, il faut faire attention à ne pas tirer de conclusions trop hâtives de résultats scientifiques, même si cela peut paraitre élégant ou amusant. Quelles que soit ces conclusions, il est important de pousser la curiosité jusqu’au bout, car d’une flatulence de hareng peut découler un océan de découvertes.
■ Hugo Le Chevalier
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📷 Photo en-tête : Rodger Jackman