Biologie animale, Comportement, Reproduction

Le mystère de la synchronie

Le groupe des reptiles au sens très large du terme est composé d’environ 10 000 espèces souvent oubliées et méconnues. Néanmoins elles possèdent toutes quelques étrangetés tout à fait fascinantes. Malgré leur caractère solitaire, il existe chez ces animaux un communautarisme important bien avant la naissance de l’individu.

A l’heure où l’humanité est ultra-connectée via internet et les réseaux sociaux, découvrons ensemble comment se passe la communication prénatale chez certaines espèces de reptiles et à quel point elle affecte la personnalité des bébés après l’éclosion.

La reproduction

Avant de parler des œufs, il faut déjà commencer par expliquer comment fonctionne la reproduction de ces animaux. Vous imaginez bien qu’il y en a de toutes sortes vu le nombre d’espèces alors je vais me concentrer sur une toute petite partie de ce grand groupe sans pour autant vous minimiser le plaisir de suivre une histoire des plus incroyables. C’est parti, concentrons-nous sur les serpents de France.

Il en existe 14, dont 4 sont des vipères avec un mode de reproduction vivipare et 10 sont des couleuvres avec un mode de reproduction ovipare (excepté pour une espèce). La différence majeure entre ces deux modes de reproduction c’est le lieu de développement de l’embryon. Celui du mode ovipare, à lieu dans un œuf à l’instar des oiseaux (excepté le fait que les serpents ne couvent pas leurs œufs) et celui du mode vivipare, à intégralement lieu dans le corps de la mère, il n’y a alors pas de ponte mais une mise bas.

Le bon site de ponte, un choix essentiel

Les couleuvres ovipares françaises ne construisent pas de nid, elles profitent de cavités existantes et idéalement placées. En effet, ici nous parlons bien de site de ponte car de nombreuses femelles de différentes espèces convergent vers un même lieu pour y pondre. Ce sont des sites de pontes dits « communautaires ».

Convergence de femelles de Couleuvre helvétique (Natrix helvetica) sur un site de ponte communautaire. (© Jon Cranfield)

Les femelles, en fonction des espèces, vont pondre de 8 à 30 œufs dans ces cavités souterraines où règne une température et une humidité optimales et constantes permettant un développement efficace des œufs. Dans certains sites près de 400 œufs ont été découverts. Après la ponte, les femelles partent laissant les œufs incubés dans ces couveuses naturelles et les petits seront autonomes dès la naissance.

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Découverte d’un site de ponte communautaire durant l’abatage d’un arbre. (© Joseph Purdum)

Qui dit « communautaire » dit « sociable » ?

Eh bien oui et non. En effet, en plus de choisir le site de ponte, les femelles peuvent choisir de coller leur ponte à celle de leurs congénères ou au contraire de les isoler. C’est ici que tout le mystère de la sociabilité des œufs commence.

Des chercheurs ont récemment mis en évidence chez la Couleuvre vipérine (Natrix maura) que des œufs isolés des autres créaient des juvéniles associables qui ne s’agglutinaient pas aux autres juvéniles issus de pontes regroupées.

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Représentation schématique du comportement des différents juvéniles de couleuvre vipérine pendant les expériences. Les serpents des œufs incubés seuls (S) ne s’agglutinent pas, contrairement aux serpents des œufs incubés en groupe (G). (Aubret et al. 2016)

Il a également été mis en évidence que la position des œufs et de l’embryon dans l’œuf pouvait jouer sur les succès d’éclosion des bébés. En plus de ces relations entre comportement à la naissance et choix des systèmes de pontes par les mères, de récentes études travaillent sur la communication et la synchronisation des œufs à l’éclosion.

La synchronisation, comment ça marche ?

Chez de nombreuses espèces l’éclosion synchrone de l’ensemble des œufs est connue. C’est le cas notamment chez certaines tortues marines.

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Éclosion synchrone et sortie de nid chez des tortues marines (© Pierre Bru)

Tout le monde a déjà vu une fois dans sa vie une image de toutes ces tortues se dirigeant vers la mer. Mais bien au delà de l’extraordinaire spectacle que la nature nous propose ici, cette éclosion synchrone a pour but de diminuer le risque de prédation individuel. « Plus nous sommes nombreux, moins j’ai de chance d’être choisi comme repas. »

Chez les tortues, le nid subit un gradient de température vertical, la vitesse de développement des œufs est donc contrôlée par la température. Les œufs pondus en bas du nid, donc soumis à des températures plus froides, vont palier un développement plus lent par l’augmentation de leur rythme cardiaque afin d’accélérer ce développement et synchroniser leur éclosion avec les œufs pondus en haut du nid.

Chez les serpents, les œufs ne subissent pas de gradient de température. Au sein d’une même ponte il y a une synchronisation naturelle des œufs frères. Mais comme les sites de pontes sont communautaires, les œufs pondus par les différentes femelles n’ont pas tous le même âge. Néanmoins, des œufs placés à coté d’œufs plus âgés de 5 jours vont accélérer leur rythme cardiaque afin de rattraper celui des œufs plus âgés. Cependant, ce mécanisme reste coûteux à court terme car l’éclosion étant plus précoce chez ces œufs « boostés », les juvéniles naissent plus petits avec des performances plus faibles.

La compréhension de la synchronisation des éclosions chez les reptiles et des mécanismes sous-jacents en est encore à ces balbutiements :  il semblerait que les battements cardiaques des individus soit l’un des moteurs de la communication embryonnaire.

Mais qui sait quelles découvertes ces animaux nous réservent encore ?

■ Jérémie Souchet

Références bibliographiques

• Aubret, F., Blanvillain, G., & Kok, P. J. (2015). Myth busting? Effects of embryo positioning and egg turning on hatching success in the water snake Natrix maura. Scientific reports, 5, 13385. https://doi.org/10.1038/srep13385

• Aubret, F., Bignon, F., Kok, P. J., & Blanvillain, G. (2016). Only child syndrome in snakes: Eggs incubated alone produce asocial individuals. Scientific reports, 6. https://doi.org/10.1038/srep35752

• Aubret, F., Blanvillain, G., Bignon, F., & Kok, P. J. (2016). Heartbeat, embryo communication and hatching synchrony in snake eggs. Scientific reports, 6. https://doi.org/10.1038/srep23519

• Doody, J. S. (2011). Environmentally cued hatching in reptiles. Integrative and Comparative Biology, 51(1), 49-61. https://doi.org/10.1093/icb/icr043

• Spencer, R. J., Thompson, M. B., & Banks, P. B. (2001). Hatch or wait? A dilemma in reptilian incubation. Oikos, 93(3), 401-406. https://doi.org/10.1034/j.1600-0706.2001.930305.x

📷 Photo en-tête : Olivier Buisson ; photo introduction : Pauline Clin