La reproduction chez les libellules n’est pas toujours une partie de plaisir. Tout commence quand elles émergent de leur phase larvaire aquatique pour s’adonner aux plaisirs voltige aérienne. Tous les mâles se ruent alors sur les femelles et les agrippent par le cou. Après un rapide vol en tandem, vient la copulation et les œufs ainsi fécondés sont prêts à être pondus.

Chez de nombreuses espèces de demoiselles et de libellules, les mâles restent surveiller la ponte, parfois même en étant encore accrochés aux femelles pour décourager d’éventuels gêneurs. Et aussi pour s’assurer de leur paternité.
Mais il semble que le mâle d’aeshne des joncs s’en fiche. Une fois l’accouplement terminé, il repart vers de nouvelles conquêtes.

Les femelles pondent seules, tapies dans la végétation des berges, à la merci des prétendants célibataires. Ces derniers patrouillent sans relâche à la recherche d’une partenaire. Comme il est impossible pour eux de savoir si une femelle est prête à se reproduire, ils tentent leur chance à chaque fois. Il devient alors très compliqué pour elles de partir se reposer après leur ponte sans se faire de nouveau enlever.
Et c’est épuisant pour les femelles. Voilà pourquoi elles ont développé une stratégie toute particulière pour échapper aux mâles trop insistants.
A peine sorties de leur site de ponte, elles fuient les mâles qui se lancent à leurs trousses. Si la course-poursuite s’éternise, elles se stoppent en plein vol, tombent et se font passer pour mortes en restant immobiles au sol. Leurs poursuivants, déçus, passent alors leur chemin et repartent patrouiller.

Le plus souvent les femelles choisissent de tomber dans des buissons ou des herbes hautes pour se cacher. Si leur corps semble mort, leur esprit reste vif : elles sont capables d’effectuer un décollage d’urgence pour rejoindre les airs au moindre danger.
Ce comportement est loin d’être rare et semble même être pratiqué avec une certaine rigueur. Cette astuce confèrerait ainsi une sacrée économie d’énergie et de temps pour les femelles qui en ont bien besoin durant cette période intense de reproduction.

Le fait que ce comportement se retrouve chez d’autres espèces de libellules laisse à penser qu’il ne s’agirait pas à proprement parler d’une thanatose (se faire passer pour morte) mais plutôt d’une adaptation du comportement d’évitement des prédateurs volants, comme les hirondelles. L’immobilité ne servirait donc pas à mimer la mort mais plutôt à se camoufler dans la végétation en attendant que le danger s’éloigne !
■ Hugo Le Chevalier
Références bibliographiques
• Khelifa, R. (2017). Faking death to avoid male coercion: extreme sexual conflict resolution in a dragonfly. Ecology, 98(6), 1724-1726. https://doi.org/10.1002/ecy.1781
• Wildermuth, H., Jödicke, R., Schröter, A., & Borkenstein, A. (2019). Death feigning in sexual conflict between dragonflies (Odonata): does it exist?. Odonatologica, 48(3/4), 211-228. https://doi.org/10.5281/zenodo.3539734
📷 Photo en-tête : Terry Thormin