Biologie animale, Comportement, Ecologie, Physiologie

đŸ» OursĂ©rie – La reproduction

Les Ours bruns adultes (Ursus arctos) vivent seuls et ne se rencontrent qu’en de rares occasions. Pourtant il existe un moment dans l’annĂ©e oĂč mĂąles et femelles se cherchent activement : au printemps, saison qui annonce la reproduction. Une fois bien rĂ©veillĂ©s de leur hibernation et ayant repris suffisamment de forces, ourses et ours commencent Ă  se tourner autour.

Copulation de Grizzlys (Ursus arctos horribilis), sous-espĂšce d’Ours brun d’AmĂ©rique du Nord. Il s’agit ici de Popeye (♂) et Beadnose (♀), des individus suivis dans le parc national de Katmai en Alaska. © Katmai National Park and Preserve

Tout commence par une belle journée de printemps

Pour des grands mammifĂšres solitaires, il est nĂ©cessaire d’ĂȘtre bien synchronisĂ©s pour ne pas passer Ă  cĂŽtĂ© de la saison de reproduction. Pour les ours, comme pour beaucoup d’ĂȘtres vivants, la saison des amours, c’est le printemps. Plus prĂ©cisĂ©ment Ă  partir de l’équinoxe, Ă  la fin du mois de mars, date Ă  laquelle les jours commencent Ă  rallonger. 

L’allongement de la photopĂ©riode, l’augmentation de la durĂ©e d’ensoleillement, a un effet trĂšs important sur le cycle hormonal des Ours bruns. Les testicules des mĂąles vont commencer Ă  produire des spermatozoĂŻdes au dĂ©but du printemps tandis que les femelles vont dĂ©buter leur ovulation plutĂŽt en avril. Ainsi, le pic d’activitĂ© de reproduction a gĂ©nĂ©ralement lieu autour du mois de mai.

Jusqu’au dĂ©but de l’étĂ©, les ours matures de tous sexes, ĂągĂ©s d’au moins 3 ou 4 ans, vont chercher Ă  se rencontrer. La surface que les mĂąles et les femelles couvrent en se dĂ©plaçant va beaucoup augmenter. La prioritĂ© absolue est alors de trouver un ou une partenaire, mais pour beaucoup d’individus la reproduction est aussi synonyme de compĂ©tition intense.

Durant cette pĂ©riode printaniĂšre, les mĂąles et femelles en rut peuvent couvrir des surfaces de plusieurs centaines de kmÂČ, pouvant doubler voire tripler la taille de leur domaine vital du reste de l’annĂ©e. Ici, un ours dans la vallĂ©e de Lamar dans le parc de Yellowstone (USA). © Neal Herbert

Se reproduire n’est pas de tout repos

Quand il s’agit de faire des petits, il est naturel d’ĂȘtre exigeante ! Chez les Ours bruns, le choix des partenaires vient principalement des femelles, qui prĂ©fĂšrent les mĂąles plus gros et plus vieux. Ces caractĂ©ristiques indiquent de bonnes capacitĂ©s de survie qui ont donc de fortes chances d’ĂȘtre transmises aux futurs oursons. Une hiĂ©rarchie peut se mettre en place chez les mĂąles qui se rencontrent, pouvant mener Ă  des intimidations et des combats parfois trĂšs violents pour obtenir les faveurs de leur dulcinĂ©e.

Les couples formĂ©s ne durent que le temps de l’accouplement. Une fois l’union consommĂ©e, chacun s’en va de son cĂŽtĂ©, souvent pour chercher d’autres partenaires. Les mĂąles peuvent se reproduire avec plusieurs femelles mais les femelles peuvent aussi ĂȘtre fĂ©condĂ©es par plusieurs mĂąles. Une bonne partie d’entre elles auront des oursons de pĂšres diffĂ©rents au sein de leur portĂ©e. En association avec le choix du meilleur partenaire, ce comportement permet de diversifier le patrimoine gĂ©nĂ©tique et ainsi maximiser les chances de survie des futurs oursons.

Combat entre mùles grizzlys pour une femelle. Le vainqueur est choisi par la femelle malgré ses blessures tandis que le perdant ne peut que regarder au loin. © Brad Josephs via YouTube

Les mĂąles ne sont pas exigeants pour choisir une partenaire, le fait que la femelle soit disponible leur suffit. Pourtant, Ă  cette pĂ©riode de l’annĂ©e, les ourses ayant mis bas Ă  la saison prĂ©cĂ©dente sont toujours accompagnĂ©es de leurs oursons, trop jeunes pour se dĂ©brouiller seuls, et ne peuvent pas se reproduire. Qu’à cela ne tienne : en cas de rencontre, un mĂąle peut tuer ces oursons, ce qui a pour effet quasi-immĂ©diat de provoquer une ovulation chez la femelle qui peut alors porter de nouveaux petits d’un nouveau pĂšre.

L’infanticide est donc une stratĂ©gie de reproduction qui profite aux mĂąles au dĂ©triment des femelles. C’est pourquoi les ourses suitĂ©es d’oursons vont avoir un domaine vital plus restreint au printemps, afin d’éviter ces rencontres malheureuses. Cependant, il semblerait que les mĂąles ne tuent pas les oursons des femelles avec lesquelles ils se sont reproduits les annĂ©es prĂ©cĂ©dentes, ce qui leur Ă©viterait de tuer leur propre progĂ©niture. Ainsi, dans les grandes populations oĂč les individus ont plus de chance de se recroiser, s’accoupler avec plusieurs mĂąles serait pour les femelles une contre-stratĂ©gie pour protĂ©ger leurs oursons.

Ourse avec ses trois oursons. Cette femelle est trĂšs attentive Ă  son environnement et reste prĂȘte Ă  rĂ©agir au moindre danger pour protĂ©ger ses petits. Ces derniers ne s’Ă©loignent pas de leur mĂšre. © Katmai National Park and Preserve

La grossesse, c’est pour plus tard !

En moyenne, les femelles finissent la pĂ©riode de reproduction avec 2 Ă  3 ovules fĂ©condĂ©s. La gestation reprĂ©sente un investissement Ă©nergĂ©tique intense pour lequel les ourses ont dĂ©veloppĂ© une adaptation peu banale. Les ovules fĂ©condĂ©s vont rester en dormance dans l’utĂ©rus durant plusieurs mois, le temps que les femelles constituent leurs rĂ©serves alimentaires pour l’hiver.

Le dĂ©veloppement des embryons dĂ©marre alors Ă  l’équinoxe d’automne, signal de dĂ©part de l’hibernation. La gestation Ă  proprement parler dĂ©bute en novembre et dure 2 Ă  3 mois, amenant Ă  la mise bas en plein cƓur de l’hiver entre janvier et fĂ©vrier. Les rĂ©serves emmagasinĂ©es par les ourses doivent donc subvenir Ă  leurs propres besoins, au dĂ©veloppement des embryons et Ă  la production de lait. Pour une mise bas dans de bonnes conditions, leurs rĂ©serves doivent reprĂ©senter un tiers de leur masse !

Évolution de la masse des oursons en fonction de leur Ăąge en jours. L’allocation des rĂ©serves de graisse de la mĂšre fait que plus la portĂ©e est grande, moins les oursons seront gros. © Ad Naturam, d’aprĂšs Robbins et al., 2012

La mise bas a lieu aprĂšs une gestation courte alors que la mĂšre est en pleine pĂ©riode d’hibernation avec des rĂ©serves de graisses limitĂ©es. Les oursons nouveau-nĂ©s voient donc le jour trĂšs vite. Pesant moins de 500 grammes Ă  la naissance, ils sont relativement petits pour des mammifĂšres de cette carrure. Cependant, ces derniers vont se nourrir du lait trĂšs gras de leur mĂšre durant plusieurs mois, ce qui leur assure une croissance rapide, si bien qu’ils pĂšsent entre 6 et 10 kilogrammes Ă  la sortie de l’hibernation.

Petit Ours brun deviendra grand

Les femelles ayant mis bas Ă©mergent de leur taniĂšre avec 1 Ă  3 oursons et une perte de poids consĂ©quente, due en grande majoritĂ© Ă  la production de lait. Cependant cet investissement de la mĂšre est nĂ©cessaire car plus il est important et plus les oursons seront grands et en bonne santĂ©. MalgrĂ© tout, ces derniers restent fragiles et vivront auprĂšs de leur mĂšre pour une durĂ©e de 1,5 Ă  3 ans selon les populations, les conditions saisonniĂšres et la capacitĂ© de leur mĂšre Ă  s’occuper d’eux. 

Oursons prĂ©sentant un comportement d’intimidation lors d’une phase de jeu. © Jan Mayes & Quentin Goodman via YouTube

Le temps passĂ© en famille est donc plus ou moins long, mais il est toujours extrĂȘmement important pour anticiper la vie d’adulte. C’est lors du temps passĂ© avec leur mĂšre, et en partie par des phases de jeu, que les jeunes ours apprendront Ă  maĂźtriser les divers comportements qui leur permettront de subvenir Ă  leurs besoins et Ă  ceux de leurs futurs petits.

■ Hugo Le Chevalier

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đŸ“· Photo en-tĂȘte : Lisa Hupp – U.S. Fish and Wildlife Service


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