Biologie animale, Comportement, Ecologie, Physiologie

đŸ» OursĂ©rie – L’alimentation

Les Ours bruns (Ursus arctos) sont capables de s’adapter Ă  de nombreuses situations. Suivant leur lieu de vie et les conditions saisonniĂšres, ils modifient en consĂ©quence leurs comportements de reproduction, d’hibernation et d’alimentation. Ainsi, dans les diffĂ©rentes rĂ©gions du globe occupĂ©es par les ours, les conditions de vie sont trĂšs diverses et impliquent un rĂ©gime alimentaire parfaitement ajustĂ© et Ă  toute Ă©preuve.

Ours bruns se nourrissant de myrtilles en automne en Alaska. © Denali National Park and Preserve

Un Ours brun peut en cacher un autre

Les Ours bruns sont thĂ©oriquement capables de vivre dans tous les milieux tempĂ©rĂ©s, mais on les retrouve aujourd’hui surtout confinĂ©s dans les rĂ©gions montagneuses ou les anciennes forĂȘts d’AmĂ©rique du Nord, d’Europe et d’Asie. La vie sur plusieurs continents a permis aux diffĂ©rentes populations d’évoluer de façon trĂšs variable dans leurs apparences et leurs comportements, Ă  tel point que l’on distingue plusieurs sous-espĂšces d’ours bruns de par le monde.

À cĂŽtĂ© de l’Ours Kodiak (Ursus arctos middendorffi), vivant en Alaska et dĂ©passant aisĂ©ment les 500 kg, l’Ours brun d’Europe ou eurasien (Ursus arctos arctos) fait figure de gringalet avec ses 200 kg. Un tel Ă©cart de masse s’explique en partie par la diversitĂ© des ressources alimentaires : les saumons, poissons Ă  la chair trĂšs grasse, sont au cƓur de l’alimentation de l’Ours Kodiak mais sont absents de celle de l’Ours eurasien.

Carte 1 : RĂ©partition mondiale de l’Ours brun. Carte 2 : Identification des principales sous-espĂšces actuelles. Carte 3 : Identification des clades, ensembles mettant en avant la proximitĂ© gĂ©nĂ©tique, par approche phylogĂ©nĂ©tique. Les populations d’Ours bruns dans le monde sont variĂ©es au niveau comportemental et gĂ©nĂ©tique. © Ad Naturam, d’aprĂšs Miller et al, 2006

L’alimentation joue donc un rĂŽle crucial dans la vie des Ours bruns. OĂč qu’ils vivent, ils restent cependant toujours omnivores et se nourrissent aussi bien de viande que de plantes ou encore de champignons. Les conditions climatiques, la quantitĂ© et la diversitĂ© des aliments varient beaucoup entre les diffĂ©rentes rĂ©gions du globe, mais les ours sont de fins diĂ©tĂ©ticiens et parviennent Ă  Ă©quilibrer leur alimentation en toutes conditions !

Un régime alimentaire adapté pour chaque saison

Selon le moment de l’annĂ©e, les besoins nutritifs des ours ne sont pas les mĂȘmes. À la sortie de l’hibernation, la prioritĂ© est de reconstituer rapidement de la masse maigre (os, muscles
) afin d’ĂȘtre dans les meilleures conditions possibles pour la pĂ©riode de reproduction qui approche. Au printemps, les Ours bruns se tournent donc vers des sources de nourriture riches en protĂ©ines rapidement assimilables : la chair des poissons, des rongeurs ou plus rarement des grands mammifĂšres constitue un aliment de choix.

Cependant, une fois la pĂ©riode de reproduction passĂ©e et l’étĂ© entamĂ©, il faut dĂ©jĂ  se prĂ©parer Ă  l’hibernation suivante. Et ce n’est pas une mince affaire car pour passer l’hiver dans de bonnes conditions, un ours doit constituer des rĂ©serves de graisse reprĂ©sentant au minimum 10% Ă  20% de son poids ! Pendant cette pĂ©riode d’alimentation intense (hyperphagie), les ours augmentent leur masse graisseuse de façon spectaculaire en un temps record.

Grizzly (Ursus arctos horribilis) Ă  l’approche de l’hiver. En plus des rĂ©serves de graisse, la fourrure donne de l’épaisseur, c’est trompeur. © Gregory Smith

DĂšs la fin de l’étĂ© et durant tout l’automne les ours consomment une quantitĂ© exorbitante de fruits : le fructose qu’ils contiennent augmente le niveau d’acide urique et permet d’amasser la graisse trĂšs efficacement, de plusieurs centaines de grammes par jour. En augmentant leur masse graisseuse au dĂ©triment de leur masse musculaire, les ours deviennent littĂ©ralement obĂšses de façon saisonniĂšre. NĂ©anmoins, grĂące Ă  leur fonctionnement mĂ©tabolique unique, ils restent paradoxalement en excellente santĂ©.

Un steak pour accompagner les fruits ?

Les ours mangent aussi un peu de viande mais de façon trĂšs variable suivant les rĂ©gions. Dans les zones septentrionales, oĂč les hivers sont longs et froids, ils consomment bien plus de chair animale que dans les milieux tempĂ©rĂ©s, notamment pour reconstituer rapidement leur masse musculaire perdue durant l’hibernation. D’autant plus que, dans ces milieux, les populations sont souvent denses et les rencontres entre individus frĂ©quentes, ce qui crĂ©e une pression supplĂ©mentaire pour soigner sa carrure, que ce soit pour plaire ou pour impressionner.

Proportion des aliments dans le rĂ©gime alimentaire annuel moyen des Ours bruns, en proportion de biomasse ingurgitĂ©e, en fonction des biomes oĂč ils peuvent ĂȘtre prĂ©sents.  © Ad Naturam, d’aprĂšs Bojarska & Selva, 2012.

Dans les rĂ©gions tempĂ©rĂ©es, la compĂ©tition est moindre et les ours sont en moyenne plus dispersĂ©s et moins massifs. Le climat y est Ă©galement plus doux et l’enneigement moins long que dans les forĂȘts borĂ©ales, permettant une croissance prĂ©coce et plus longue de la vĂ©gĂ©tation. Les ours de ces rĂ©gions se nourrissent donc de nombreux Ă©lĂ©ments vĂ©gĂ©taux : fruits charnus, graines, noix et racines constituent la grande majoritĂ© de leur rĂ©gime alimentaire.

S’ils ne rechignent pas Ă  manger de la viande, les ours ne chassent que de maniĂšre exceptionnelle et prĂ©fĂšrent des sources de protĂ©ines carnĂ©es facilement accessibles. Ainsi, ils se nourrissent volontiers de rongeurs ou plus occasionnellement de carcasses de grands mammifĂšres, mais leur mets protĂ©inĂ© prĂ©fĂ©rĂ© reste les fourmis, pouvant reprĂ©senter jusqu’à 25% de la masse des aliments qu’ils ingĂšrent !

Les Ours bruns consomment de grandes quantitĂ© de fourmis, notamment dans les forĂȘts d’Europe de l’Est et de Scandinavie. Pour prĂ©cision, Baloo n’est pas un Ours brun mais un Ours lippu (Melursus ursinus). Cette espĂšce d’ours prĂ©sente en Inde est presque exclusivement insectivore. Avec des incisives absentes, une langue et des lĂšvres adaptĂ©es, les Ours lippus sont spĂ©cialisĂ©s dans la consommation de fourmis et de termites.

Je mange donc je suis

Si les ours peuvent se nourrir d’aliments variĂ©s, leur carrure leur impose tout de mĂȘme d’en consommer de grandes quantitĂ©s, et leur survie dĂ©pend pour beaucoup de leur capacitĂ© Ă  bien s’alimenter au bon moment. C’est le cas pour l’accumulation de rĂ©serves de graisse en prĂ©vision de l’hibernation, notamment pour les femelles. Comme elles doivent donner naissance et s’occuper des petits en plein hiver sur ces seules rĂ©serves, elles sont bien plus contraintes que les mĂąles au niveau Ă©nergĂ©tique.

La taille des portĂ©es et le poids des oursons Ă  la naissance sont proportionnels Ă  la masse des ourses gestantes, leur alimentation est donc cruciale pour la survie de leurs futurs petits. Dans les milieux oĂč les conditions climatiques sont rudes et les ressources rares, cette dĂ©pense Ă©nergĂ©tique supplĂ©mentaire limiterait les femelles dans leur croissance aprĂšs maturitĂ©. Ce serait pour cela que ces derniĂšres sont en moyenne plus petites que les mĂąles dans ces rĂ©gions.

Chaque ours selon son sexe, sa masse et la saison vit dans un compromis constant pour obtenir les nutriments dont il a besoin. Il faut choisir les meilleurs aliments tout en rĂ©duisant la dĂ©pense d’énergie nĂ©cessaire pour se les procurer. En gros, la viande est un aliment trĂšs protĂ©inĂ© mais peu Ă©nergĂ©tique tandis que les plantes sont au contraire peu protĂ©inĂ©es mais trĂšs Ă©nergĂ©tiques. L’omnivorie des ours permet une grande adaptabilitĂ© qui peut faire Ă©merger des comportements alimentaires trĂšs variables entre les individus, parfois dans la mĂȘme rĂ©gion.

Comportement de chasse des Grizzlys durant la migration des saumons lorsque ces derniers remontent les riviĂšres pour se reproduire en amont. Ce comportement, trĂšs rentable en terme de dĂ©pense Ă©nergĂ©tique par rapport aux gains nutritifs, est typique des populations d’AmĂ©rique du Nord, ici Ă  Brooks Falls en Alaska.  © Joseph C. Boone

Cette diversité alimentaire a des conséquences directes sur le fonctionnement interne des ours. Leur microbiome intestinal, composé de bactéries qui décomposent les aliments digérés en nutriments, est directement influencé par leur alimentation et va donc varier de maniÚre saisonniÚre. Les différentes communautés bactériennes qui se succÚdent permettent ainsi de toujours conserver un métabolisme actif en fonction des saisons et des besoins des ours. Ce serait donc de ces petits micro-organismes que des mammifÚres aussi massifs tireraient en grande partie leurs capacités physiologiques exceptionnelles.

■ Hugo Le Chevalier

Références bibliographiques

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đŸ“· Photo en-tĂȘte : S. Wilcer – National Park Service


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