Chez les Ours bruns (Ursus arctos), lâhibernation est longtemps restĂ©e trĂšs mystĂ©rieuse. Lâhiver approchant, les rĂ©serves de graisses sont faites, les femelles ayant rencontrĂ© un mĂąle au printemps sont en gestation de futurs oursons, et il est temps de trouver un abri afin de passer la saison froide. Lâhiver venu, ils disparaissent dans leur taniĂšre pour nâen ressortir quâau printemps.

Bonne nuit les⊠petits ?
Les ours Ă©tant les plus grands animaux hibernants du monde, leur imposante carrure ne leur permet pas dâadopter les mĂȘmes comportements dâhibernation et de conservation de la chaleur que les petits mammifĂšres, comme les marmottes ou les Ă©cureuils. Chaque espĂšce a dĂ©veloppĂ© une mĂ©thode dâhibernation adaptĂ©e Ă son organisme et les ours sont parmi les plus surprenants.
Chez eux lâhibernation commence dĂšs la fin de lâautomne avant mĂȘme de rejoindre leur taniĂšre. Le changement saisonnier, avec ses tempĂ©ratures fraĂźches et ses longues nuits, agit directement sur leur systĂšme nerveux parasympathique (responsable notamment des activitĂ©s de sommeil et de digestion). Ainsi, leur rythme cardiaque ralentit progressivement au cours des jours, entraĂźnant une diminution des activitĂ©s mĂ©taboliques et prĂ©parant les ours Ă des mois de sommeil hivernal.

Câest Ă©puisant de dormir
A lâapproche de lâhiver, les ours vont soigneusement choisir une taniĂšre quâils peuvent lĂ©gĂšrement amĂ©nager afin de sâisoler au maximum de lâextĂ©rieur et des tempĂ©ratures glaciales. Leur rythme cardiaque continue de diminuer et passe de 60 Ă 20 battements par minute, et leur tempĂ©rature corporelle passe de 36,7°C Ă 32°C. Leur mĂ©tabolisme restera Ă ce niveau durant toute la durĂ©e de lâhibernation.
Câest une diminution faible du mĂ©tabolisme pour un animal hibernant et câest assez inhabituel pour ĂȘtre mentionnĂ©. Pour comparaison, le rythme cardiaque dâune Marmotte alpine passe de 300 Ă 30 battements par minute et sa tempĂ©rature de 36°C Ă 5°C en hibernation ! A cause de cela, lâOurs brun a longtemps Ă©tĂ© considĂ©rĂ©, Ă tort, comme un âfaux hibernantâ.
Bien que le mĂ©tabolisme des ours soit un peu ralenti, il consomme encore beaucoup dâĂ©nergie, ce qui les oblige Ă accumuler dâimportantes rĂ©serves de graisses. Cette prĂ©caution est dâautant plus importante pour les femelles gestantes car elles devront mettre bas en pleine hibernation. Au printemps suivant, les ours auront perdu environ 15% de leur masse, mais ce chiffre peut atteindre 40% pour les femelles ayant mis bas et allaitĂ© leurs oursons !

Un sommeil profond plein dâactivitĂ©
Alors que les autres hibernants se rĂ©veillent et se rendorment de maniĂšre rĂ©guliĂšre durant lâhibernation, une originalitĂ© des ours est quâils dorment dâune seule traite tout lâhiver. Cependant, ils ne sont pas non plus rĂ©glĂ©s comme du papier Ă musique. Ainsi, il est possible de voir parfois des ours actifs en plein hiver, certains pouvant mĂȘme ne pas hiberner du tout selon les annĂ©es ! De plus, mĂȘme s’ils sont dĂ©rangĂ©s en plein sommeil hivernal, ils peuvent retrouver toute leur mobilitĂ© en quelques minutes seulement.
Si le signal de dĂ©part pour lâhibernation semble ĂȘtre donnĂ© par les conditions environnementales, comme la tempĂ©rature ou la durĂ©e du jour, le signal du rĂ©veil viendrait du plus profond du corps des ours. Quelques jours avant leur rĂ©veil, leur systĂšme nerveux sympathique (responsable notamment de lâactivation du corps lors de situations stressantes) se rĂ©active, augmente le rythme cardiaque et relance une activitĂ© mĂ©tabolique normale.
Dormir profondĂ©ment durant toute lâhibernation peut sembler anodin mais ça ne lâest pas du tout. Cela signifie que les ours hibernants ne bougent pas leurs muscles, ne mangent pas, ne boivent pas, mais aussi nâurinent pas et ne dĂ©fĂšquent pas durant des mois. Cette immobilitĂ© causerait des problĂšmes de santĂ© pour nâimporte quel grand mammifĂšre, et pourtant ils se rĂ©veillent en pleine forme !

La magie des ours hibernants
Chez tous les mammifĂšres, se nourrir permet la synthĂšse de protĂ©ines pour assurer le bon fonctionnement de lâorganisme et cette activitĂ© mĂ©tabolique produit des dĂ©chets azotĂ©s qui sont Ă©vacuĂ©s, entre autres, sous forme dâurĂ©e dans les urines. Les ours en hibernation ont un mĂ©tabolisme lent mais qui reste actif, et malgrĂ© cela il ne se nourrissent pas et nâĂ©vacuent rien de leur corps. Comment est-ce possible ?
Le plus Ă©patant secret des ours rĂ©side dans leur fonctionnement interne. Sous les poils, la graisse et les muscles, se trouve une fascinante machinerie qui ne sâarrĂȘte pas durant lâhibernation, mais change complĂštement de fonctionnement. Cela a mĂȘme amenĂ© les scientifiques Ă©tudiant les ours Ă les qualifier de âmagiciens mĂ©taboliquesâ.
La graisse accumulĂ©e en automne sert ainsi de rĂ©serve pour permettre lâhydratation et le fonctionnement du mĂ©tabolisme, ce qui engendre la production de dĂ©chets azotĂ©s. Et câest Ă ce moment que lâours nous dĂ©voile sa botte secrĂšte : cet azote concentrĂ© dans lâurĂ©e, et stockĂ© dans la vessie, nâest pas Ă©vacuĂ© mais est rĂ©absorbĂ© dans lâorganisme ! Il est alors utilisĂ© pour synthĂ©tiser des protĂ©ines du plasma sanguin, des muscles, des os ou encore des neurotransmetteurs.
Il ne faut pas vendre la peau de lâours avant de lâavoir vu dormir
En recyclant les dĂ©chets de leur organisme via des processus physiologiques, microbiologiques et gĂ©nĂ©tiques complexes et encore peu connus, les ours hibernants parviennent Ă crĂ©er un Ă©quilibre interne en circuit fermĂ© et peuvent ainsi Ă©viter la dĂ©shydratation, lâurĂ©mie, lâostĂ©oporose, lâatrophie musculaire, lâathĂ©rosclĂ©rose et bien dâautres maux.
Les Ours bruns, tout comme leurs cousins Ours noirs (Ursus americanus) et Ours polaires (Ursus maritimus), sont des animaux au mode dâhibernation unique et exceptionnel qui cache encore de nombreux mystĂšres. Plusieurs Ă©quipes de recherche en mĂ©decine se tournent aujourdâhui vers lâĂ©tude de cette hibernation afin de mieux comprendre ces adaptations physiologiques dans le but de dĂ©velopper de nouveaux traitements pour nous, humains.
â Hugo Le Chevalier
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đ· Photo en-tĂȘte : Adam Willoughby
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Alimentation | Lâhibernation occupe une place centrale dans le cycle de vie des ours, si bien quâune pĂ©riode de prĂ©paration alimentaire intense est nĂ©cessaire pour constituer les rĂ©serves de graisse. Quel rĂ©gime alimentaire peut permettre une telle hibernation ?
Reproduction | Si ce comportement semble dĂ©jĂ impressionnant, il ne faut pas oublier que les femelles parviennent Ă mettre bas dans leur taniĂšre en plein hiver ! Comment une ourse peut elle arriver Ă donner naissance et nourrir ses oursons durant lâhibernation ?