Biologie animale, Comportement, Ecologie, Physiologie

đŸ» OursĂ©rie – L’hibernation

Chez les Ours bruns (Ursus arctos), l’hibernation est longtemps restĂ©e trĂšs mystĂ©rieuse. L’hiver approchant, les rĂ©serves de graisses sont faites, les femelles ayant rencontrĂ© un mĂąle au printemps sont en gestation de futurs oursons, et il est temps de trouver un abri afin de passer la saison froide. L’hiver venu, ils disparaissent dans leur taniĂšre pour n’en ressortir qu’au printemps.

Ours brun Ă  l’entrĂ©e de sa taniĂšre en hiver. © Evans et al., 2016

Bonne nuit les
 petits ?

Les ours Ă©tant les plus grands animaux hibernants du monde, leur imposante carrure ne leur permet pas d’adopter les mĂȘmes comportements d’hibernation et de conservation de la chaleur que les petits mammifĂšres, comme les marmottes ou les Ă©cureuils. Chaque espĂšce a dĂ©veloppĂ© une mĂ©thode d’hibernation adaptĂ©e Ă  son organisme et les ours sont parmi les plus surprenants.

Chez eux l’hibernation commence dĂšs la fin de l’automne avant mĂȘme de rejoindre leur taniĂšre. Le changement saisonnier, avec ses tempĂ©ratures fraĂźches et ses longues nuits, agit directement sur leur systĂšme nerveux parasympathique (responsable notamment des activitĂ©s de sommeil et de digestion). Ainsi, leur rythme cardiaque ralentit progressivement au cours des jours, entraĂźnant une diminution des activitĂ©s mĂ©taboliques et prĂ©parant les ours Ă  des mois de sommeil hivernal.

Échographie du cƓur d’un ours brun hibernant montrant son rythme cardiaque. © JĂžrgensen et al., 2014

C’est Ă©puisant de dormir

A l’approche de l’hiver, les ours vont soigneusement choisir une taniĂšre qu’ils peuvent lĂ©gĂšrement amĂ©nager afin de s’isoler au maximum de l’extĂ©rieur et des tempĂ©ratures glaciales. Leur rythme cardiaque continue de diminuer et passe de 60 Ă  20 battements par minute, et leur tempĂ©rature corporelle passe de 36,7°C Ă  32°C. Leur mĂ©tabolisme restera Ă  ce niveau durant toute la durĂ©e de l’hibernation.

C’est une diminution faible du mĂ©tabolisme pour un animal hibernant et c’est assez inhabituel pour ĂȘtre mentionnĂ©. Pour comparaison, le rythme cardiaque d’une Marmotte alpine passe de 300 Ă  30 battements par minute et sa tempĂ©rature de 36°C Ă  5°C en hibernation ! A cause de cela, l’Ours brun a longtemps Ă©tĂ© considĂ©rĂ©, Ă  tort, comme un “faux hibernant”.

Bien que le mĂ©tabolisme des ours soit un peu ralenti, il consomme encore beaucoup d’énergie, ce qui les oblige Ă  accumuler d’importantes rĂ©serves de graisses. Cette prĂ©caution est d’autant plus importante pour les femelles gestantes car elles devront mettre bas en pleine hibernation. Au printemps suivant, les ours auront perdu environ 15% de leur masse, mais ce chiffre peut atteindre 40% pour les femelles ayant mis bas et allaitĂ© leurs oursons !

Suivi de la femelle “Beadnose”, dans le parc national de Katmai, en Alaska entre juin et septembre 2018. Son gain de masse trĂšs important lui fit remporter la “Fat Bear Week”, concours symbolique annuel de l’ours ayant le plus accumulĂ© de rĂ©serves avant l’hibernation. © Katmai National Park & Preserve

Un sommeil profond plein d’activitĂ©

Alors que les autres hibernants se rĂ©veillent et se rendorment de maniĂšre rĂ©guliĂšre durant l’hibernation, une originalitĂ© des ours est qu’ils dorment d’une seule traite tout l’hiver. Cependant, ils ne sont pas non plus rĂ©glĂ©s comme du papier Ă  musique. Ainsi, il est possible de voir parfois des ours actifs en plein hiver, certains pouvant mĂȘme ne pas hiberner du tout selon les annĂ©es ! De plus, mĂȘme s’ils sont dĂ©rangĂ©s en plein sommeil hivernal, ils peuvent retrouver toute leur mobilitĂ© en quelques minutes seulement.

Si le signal de dĂ©part pour l’hibernation semble ĂȘtre donnĂ© par les conditions environnementales, comme la tempĂ©rature ou la durĂ©e du jour, le signal du rĂ©veil viendrait du plus profond du corps des ours. Quelques jours avant leur rĂ©veil, leur systĂšme nerveux sympathique (responsable notamment de l’activation du corps lors de situations stressantes) se rĂ©active, augmente le rythme cardiaque et relance une activitĂ© mĂ©tabolique normale.

Dormir profondĂ©ment durant toute l’hibernation peut sembler anodin mais ça ne l’est pas du tout. Cela signifie que les ours hibernants ne bougent pas leurs muscles, ne mangent pas, ne boivent pas, mais aussi n’urinent pas et ne dĂ©fĂšquent pas durant des mois. Cette immobilitĂ© causerait des problĂšmes de santĂ© pour n’importe quel grand mammifĂšre, et pourtant ils se rĂ©veillent en pleine forme !

Ours brun Ă©mergeant de l’hibernation dans l’Himalaya en mars 2019. © Roots Ladakh via YouTube

La magie des ours hibernants

Chez tous les mammifĂšres, se nourrir permet la synthĂšse de protĂ©ines pour assurer le bon fonctionnement de l’organisme et cette activitĂ© mĂ©tabolique produit des dĂ©chets azotĂ©s qui sont Ă©vacuĂ©s, entre autres, sous forme d’urĂ©e dans les urines. Les ours en hibernation ont un mĂ©tabolisme lent mais qui reste actif, et malgrĂ© cela il ne se nourrissent pas et n’évacuent rien de leur corps. Comment est-ce possible ?

Le plus Ă©patant secret des ours rĂ©side dans leur fonctionnement interne. Sous les poils, la graisse et les muscles, se trouve une fascinante machinerie qui ne s’arrĂȘte pas durant l’hibernation, mais change complĂštement de fonctionnement. Cela a mĂȘme amenĂ© les scientifiques Ă©tudiant les ours Ă  les qualifier de “magiciens mĂ©taboliques”.

La graisse accumulĂ©e en automne sert ainsi de rĂ©serve pour permettre l’hydratation et le fonctionnement du mĂ©tabolisme, ce qui engendre la production de dĂ©chets azotĂ©s. Et c’est Ă  ce moment que l’ours nous dĂ©voile sa botte secrĂšte : cet azote concentrĂ© dans l’urĂ©e, et stockĂ© dans la vessie, n’est pas Ă©vacuĂ© mais est rĂ©absorbĂ© dans l’organisme ! Il est alors utilisĂ© pour synthĂ©tiser des protĂ©ines du plasma sanguin, des muscles, des os ou encore des neurotransmetteurs. 

Le mĂ©tabolisme des ours reste trĂšs actif durant l’hibernation, la synthĂšse des protĂ©ines utilise un tiers des rĂ©serves de graisse. Le maintien des fonctions organiques et de la tempĂ©rature du corps permettent le recyclage de l’azote urĂ©ique, ce qui minimise les pertes de protĂ©ines et entretient les capacitĂ©s motrices.

Il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir vu dormir

En recyclant les dĂ©chets de leur organisme via des processus physiologiques, microbiologiques et gĂ©nĂ©tiques complexes et encore peu connus, les ours hibernants parviennent Ă  crĂ©er un Ă©quilibre interne en circuit fermĂ© et peuvent ainsi Ă©viter la dĂ©shydratation, l’urĂ©mie, l’ostĂ©oporose, l’atrophie musculaire, l’athĂ©rosclĂ©rose et bien d’autres maux.

Les Ours bruns, tout comme leurs cousins Ours noirs (Ursus americanus) et Ours polaires (Ursus maritimus), sont des animaux au mode d’hibernation unique et exceptionnel qui cache encore de nombreux mystĂšres. Plusieurs Ă©quipes de recherche en mĂ©decine se tournent aujourd’hui vers l’étude de cette hibernation afin de mieux comprendre ces adaptations physiologiques dans le but de dĂ©velopper de nouveaux traitements pour nous, humains.

■ Hugo Le Chevalier

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đŸ“· Photo en-tĂȘte : Adam Willoughby


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